Entretien avec Owen
Crédit : @cryorone
Owen fait partie de ces artistes qui nous rappellent pourquoi on aime le rap et pourquoi l’avenir du genre s’annonce radieux. Originaire de Cholet, le jeune rappeur a dévoilé LA VOIX DES FUGITIFS, un nouvel album qui vient clore une trilogie amorcée avec Gloomy Weather (2023) et WEIHENMAYER (2024). Désormais installé à Angers, il est également membre du collectif La Pièce, aux côtés d’Emileomicro, Celam et Sombrelune, et s’est fait remarquer autant par ses performances en équipe que par ses freestyles La Pièce I et II.
LA VOIX DES FUGITIFS est un titre à la fois puissant et poétique. Qui sont ces « fugitifs » pour toi ? Qu’as-tu voulu raconter et transmettre au public à travers ce choix de titre ?
À l’origine, LA VOIX DES FUGITIFS s’inspire du journal Voice of the Fugitives. Il s’agit du premier journal fondé par un homme noir afro-américain ayant fui l’esclavage, dans lequel il raconte sa quête de liberté. Pour moi, l’idée était de m’appuyer sur cette histoire et de la transposer dans le contexte de ma musique et de mon quotidien. C’est une manière d’exprimer ce sentiment d’être enfermé dans un système qui nous limite, un système qui ne nous ressemble pas vraiment.
Quel a été le fil conducteur du projet ? Avais-tu une idée précise dès le départ, ou est-ce quelque chose qui s’est construit au fil du temps ?
Le fil conducteur du projet, je dirais que c’est avant tout l’esthétique que je voulais donner à ma musique. Il y a ce côté très rap, très axé sur le sampling, avec des morceaux énergiques, et d’autres plus introspectifs, un peu moins percutants mais plus profonds. Le projet s’est surtout construit au fil des séminaires, des sessions, des reprises et re-productions de morceaux… L’objectif initial, c’était de créer un EP de sept titres vraiment complet, qui vienne clore la trilogie de mes trois projets en trois ans – Gloomy Weather, WEIHENMAYER et LA VOIX DES FUGITIFS – et de montrer au public ce dont je suis capable, pour qu’il puisse mieux m’identifier.
“ Pouvoir rapper avec un artiste pour qui j’avais de l’admiration, pour moi, c’est une vraie victoire. Aujourd’hui, ce morceau a une grosse signification, parce qu’il m’a respecté de ouf ”
Y a-t-il un morceau en particulier qui a une signification forte pour toi ? Peux-tu nous en parler ?
Le morceau qui a une signification particulière pour moi, c’est le featuring avec STI, parce que je connais sa musique depuis longtemps. Vesti, je le saignais à fond quand j’avais 14-15 ans, j’étais un digger de malade sur YouTube. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la 75e Session, tout cet écosystème rap : 1995, l’Entourage, puis Panama Bende un peu plus tard. Je l’ai suivi dès ses premiers sons, quand il posait avec Lesram ou Georgio, et j’étais vraiment en mode : ces mecs-là sont trop stylés. Et puis, 7-8 ans après, pouvoir rapper avec un artiste pour qui j’avais de l’admiration, pour moi, c’est une vraie victoire. Aujourd’hui, ce morceau a une grosse signification, parce qu’il m’a respecté de ouf.
Peux-tu nous parler de cette connexion ? Comment cela s’est-il fait ?
La connexion avec STI s’est faite de manière ultra naturelle. J’avais presque fini le projet, et il y avait peu d’artistes rap qui m’avaient vraiment marqué récemment, mais lui en faisait partie. Du coup, je l’ai DM, on s’est retrouvés en studio, on a fait le son et ça a directement fonctionné. C’était vraiment simple et efficace. Il connaissait ma musique de loin, moi je le suivais depuis un moment, et la connexion s’est faite naturellement. C’est un monstre, le feeling est passé tout de suite.
Owen se distingue par la maturité de son univers musical. Fidèle à une démarche collaborative et familiale, il fait des choix artistiques cohérents : les productions sont léchées, la direction artistique des visuels soignée. Musicalement, il mêle introspection, egotrip et engagement, et fait partie de ces rappeurs qui placent l’écriture au cœur de leur travail. Ses instrumentales, souvent organiques, naviguent entre trap, mélancolie et boom-bap.
On ressent une véritable identité sonore sur l’album. Comment as-tu travaillé la richesse de la production musicale pour qu’elle accompagne parfaitement tes textes et ton flow ?
J’ai une équipe de monstres. Les beatmakers avec qui je travaille tout le temps, ce sont des gars de mon équipe : Bill Mondo, xoxorcess, Fadjee, qui forment le groupe Indigo, et Sombrelune, mon fréro avec qui on essaie de créer une esthétique de ouf. En plus de ça, il y a Oni, mon fréro qui mixe mes sons, et Marin, mon manager, qui joue un rôle super important aussi. Il me dit quand un truc est chaud, ou quand ça l’est moins, et ça permet d’avoir un effet entonnoir tout au long du processus créatif. Au final, on garde que le meilleur. Le fait d’être entouré de gens qui comprennent où tu veux aller et saisissent vraiment l’essence de ta musique, ça change tout.
Qu'est-ce qui a marqué ton évolution musicale ? Y a-t-il des moments clés qui t’ont poussé à sortir cet album maintenant ?
J’ai terminé mon master, et ça m’a donné beaucoup plus de temps pour vraiment me concentrer sur ma musique. J’ai pu enchaîner les allers-retours en Belgique pour bosser avec mes gars et approfondir mon travail musical. C’était essentiel pour moi de sortir ce projet et d’aller jusqu’au bout de la démarche. On ne s’est pas fixé de deadline, on s’est dit qu’on le sortirait quand il serait prêt. De la première prod à la cover, on ne s’est pas mis de pression, on a simplement pris le temps de le faire à fond.
Le rap est souvent un exutoire. Pour toi, quel est le rôle du rappeur aujourd’hui ?
Le rap, c’est souvent un exutoire, mais pour moi, pas vraiment. Pour moi, c’est plutôt une passion, voire une addiction. J’ai toujours cette pulsion de vouloir rapper. Quant au rôle du rappeur aujourd’hui, je ne sais pas s’il y en a vraiment un. Je considère pas avoir un rôle précis. Je fais juste ma musique. Si ça parle aux gens, tant mieux, si ça leur parle pas, tant pis. Je ne suis responsable de personne, je ne suis pas un politicien, je ne suis rien de tout ça. Je suis juste un mec comme un autre qui a choisi de raconter sa vie à travers le rap et la musique, un peu comme un artiste qui peint un instant de vie.
Comment écris-tu tes textes ? Es-tu plutôt spontané ou méthodique ?
J’avoue, j’ai appris à rapper avec l’école qui porte un vrai amour pour l’écriture, pour ce que tu racontes, le sens que tu donnes aux mots, la manière dont ta rime tombe, ton schéma… tout ça c’est hyper important. Je suis plutôt méthodique et j’aime bien me casser la tête pour trouver le multi le plus stylé, la vanne la plus marquante, le double sens le plus percutant. Je suis toujours dans cet exercice de style, à manier la langue à fond. En plus, on a la chance d’avoir une langue hyper riche qui offre une infinité de possibilités. Mais de plus en plus, j’essaye de laisser place à la spontanéité, à la première énergie qui m’arrive, et de capturer cet instinct. Parce que parfois, ça donne des flows qui peuvent être vraiment cools. C’est un autre processus créatif, et être bon sur les deux plans, ça ne peut que renforcer le rendu final.
L’album a-t-il été un projet plutôt solo ou as-tu travaillé avec une équipe spécifique ? Peux-tu nous en parler ?
C’est totalement un projet de groupe. C’est mon nom parce que c’est moi qui pose ma voix, mais c’est vraiment un projet collectif. Sombrelune a énormément contribué, Marin aussi, Indigo aussi, big-up à Rodlofl qui a aussi bossé sur le projet. C’est un vrai travail d’équipe.
Y a-t-il des morceaux qui ont été particulièrement difficiles à finaliser, ou au contraire, d’autres qui sont venus de manière plus naturelle et évidente ?
Ouais, il y a BOHEMIAN CITIZEN. C’est l’un des morceaux où je me suis le plus cassé la tête, surtout au niveau du texte. Une fois qu’on a posé la base de la prod, on a voulu rajouter du saxo. Mais on voulait éviter de tomber dans le piège de surcharger le morceau et de dénaturer le son. Il fallait vraiment lui donner la profondeur qu’il mérite sans en faire trop. C’était dur à finaliser, il fallait bien calibrer pour qu’il touche les cœurs comme on le voulait. Pour les autres morceaux, ça a été plutôt facile.
“ C’est l’un des morceaux où je me suis le plus cassé la tête, surtout au niveau du texte. Une fois qu’on a posé la base de la prod, on a voulu rajouter du saxo. Mais on voulait éviter de tomber dans le piège de surcharger le morceau et de dénaturer le son ”
Que veux-tu que les auditeurs retiennent de cet album ?
Ce que je veux qu’ils retiennent, c’est que c’était la fin d’une boucle pour moi, la conclusion d’une trilogie où j’ai montré ma palette à travers ces trois projets, en l’affinant avec le temps. J’ai affiné ma direction artistique, et à la fin de ce projet, je sais exactement où je veux aller et comment je veux le faire. Mais ça passe par un long processus créatif. Ces trois projets en sont le résultat. Il y a une progression assez claire au fil des projets. J’ai abordé tout ce que je voulais, que ce soit l’ego-trip, l’introspection, etc. Pour la suite, on va rapper pour de vrai, on va choquer un peu. Mon seul but, c’est d’envoyer un maximum de barz.
Peut-on te voir sur scène dans les prochains mois ?
Pour être honnête, je ne pense pas. Peut-être quelques petits coucous sur les scènes de mes fréros, mais pour l’instant, je préfère me concentrer sur ma musique, et je pense que c’est l’essentiel. J’attends vraiment le jour où je serai totalement prêt, que ma musique soit prête aussi, et qu’on puisse être en totale osmose avec le public, qui apprécie ma musique à sa juste valeur, pas à travers un co-plateau un peu douteux.
LA VOIX DES FUGITIFS s’impose ainsi comme l’aboutissement de cette première phase artistique. En 19 minutes, Owen propose un condensé riche, alternant titres sombres et titres plus introspectifs, avec notamment un excellent featuring aux côtés de STI. Le projet agit comme une véritable carte d’identité sonore pour un artiste capable de tout faire. Des morceaux innovants comme TWAP (remix) ou l’apparition de refrains chantés sur la fin du disque témoignent de l’étendue de ses talents et annoncent un avenir que l’on devine prometteur.