Radar : Khali, le diamant brut
Crédits : Léo Joubert
Issu de la génération SoundCloud, Khali a su très rapidement proposer une vision singulière et introspective du rap, propulsant le tout en indé et se faisant une place influente qui a beaucoup à apporter au genre. Tourné vers des pratiques artistiques depuis très jeune, comme le dessin, Khali cultive un talent brut, maniant le story-telling avec une forte sensibilité qui confère une dimension universelle à ses textes.
Sa spécificité se loge très certainement dans le travail hors du commun sur sa voix, rocailleuse et sensible. Il se démarque par un timbre parfois distordu, parfois suffocant, toujours empreint de nostalgie et d’une forme de tristesse qu’il transforme en force.
Habitué à sortir des singles qui portent le nom de l’année en question (20- en 2020, 21- en 2021), il droppe le 1er décembre 2023 un nouvel album de 23 minutes, appelé 23-, dans l’année de ses 23 ans. Un bel alignement des planètes qui nous amène un projet mature, se déclinant autour de mélodies mélancoliques et entêtantes, explorant tout en pudeur les recoins et secrets de son âme.
Khali fait partie de ces rares artistes qui parviennent à observer et transmettre leurs sentiments et leur vécu sans jamais tomber dans le voyeurisme ou le mélodrame. Ses textes, souvent remplis d’une colère amère et rêveuse, mettent en avant le désir d’une ambition plus pure et tournée avec espoir vers un avenir qui s’annonce lumineux. Au-delà de frustrations exprimées, de difficultés passées comme la perte d’un de ses meilleurs amis, Khali crache ses peines au monde.
“ J’suis dans le tram A en direction de la ville pour montrer aux bourgeois le seum que j’ai. Je fais comme eux dans le sens contraire parce que j’ai ressenti beaucoup de choses contre eux. Je suis jamais sûr qu’on se comprenne, ma langue est sortie de ma poche trouée “
La musique, abordée comme un exutoire, lui permet de faire sortir cette énergie de lui et de réussir à dépasser des obstacles qui l’enferment dans une vie antérieure teintée de complications et contrariétés. Interviewé par Mouloud Achour il y a quelques mois, l’artiste revenait sur le fait que ses malheurs l’inspiraient plus que ses moments de bonheur, dans lesquels il trouve moins de choses à transmettre à son public.
Chez lui, la musique devient le lieu pour décortiquer, analyser ses inquiétudes et ses troubles, de façon presque thérapeutique. Il propose des récits dans lesquels chacun·e peut se reconnaitre et y trouver écho avec des événements de sa vie. Son regard intérieur et ses réflexions font de lui un artiste à l’écriture maitrisée et poétique, qui exprime tour à tour des désillusions amoureuses, des chagrins familiaux et une certaine appréhension du futur.
“ Je règle un problème puis je passe à l’autre, j’ouvre un eye et je deviens paranoid, y’a un cœur qui s’est vidé dans la noche ici “
Néanmoins, Khali reste bien ancré, les pieds sur terre, et quelque chose de plus grand, quelque chose qui le dépasse, le guide : son rapport à la religion et à la foi, sa confiance en l’authenticité de sa proposition artistique, ses proches qui l’entourent. On sent qu’il est loin d’être résigné et abattu, au contraire. La musique lui permet de prendre de la hauteur et de cultiver une estime de lui-même qui le pousse à expérimenter et créer de façon intense, en sortant de ses zones de confort et en allant chercher une mélodie, une punchline, qui puisse le connecter à son public.
“ Respecte le travail qu’on a mâché, petit, c’est pas toi qui t’es tâché. J’veux qu’on me rende l’amour que l’on me doit. J’veux le power comme Elon Musk, les deux mains dans l’mud, j’oublie pas ce qu’on m’a fait “
L’artiste ne fait pas dans l’egotrip et le narcissisme, il reste humble et généreux dans ce qu’il dévoile de lui-même et ce qu’il donne aux autres. Plein de fierté pour là d’où il vient, ses racines et ses influences, Khali sait et sent qu’il est taillé pour un destin puissant au sein de la musique. C’est avec beaucoup de douceur mais aussi d’assurance qu’il nous livre son dernier projet, l’inscrivant au sein des plus grands crus de la scène rap francophone actuelle. Huit titres, no skip, allant du kick énervé sur OMG à la balade musicale accompagnée d’un solo de guitare tout en délicatesse sur Silence, Khali régale et on en veut toujours plus.
Article écrit par CarollSuzan